Début de l'épreuve dans 15 minutes. C'est Mat qui prendra le départ. Nous l'observons tous, lui, notre pilote n°1, celui qui va lancer notre Team pour 5 tours d'horloge, de frisson, et d'émotions. Mais nous angoissons aussi sur le ciel, qui s'assombrit de plus en plus.
La R1 sort du box et s'engage sur la piste. 2 minutes s'écoulent ; Mat place la moto sur le coté des murets, en 13ème position ; Jean-Phi la tient par la poupe. Le pilote et la moto sont maintenant placés chacun sur le bord de la piste. Procédure de départ pour 2 tours de chauffe. Ils s'élancent pour 4 min d'interrogation. Les pneus seront-ils prêts ? La moto redémarrera t'elle sans problèmes ? Et le temps ?
Le départ est dans 5 minutes... NON, 20 maintenant. Il commence à pleuvoir – les officiels reportent la course pour 16 h 15. Un laps de temps très court pour permettre aux écuries de changer leurs pneumatiques.
Et nous, on fait comment ? Le seul train de jantes à notre disposition est déjà prisonnier de la moto. Il y a bien la solution de retourner au camion pour choisir une autre monte... Euh !!! Il faut démonter les roues, les emmener chez le manufacturier à 500 m de notre box, changer les pneus en priant qu'on soit les seuls à le demander, revenir, remonter les roues. On pourra jamais ! Tant pis, on tente un coup de poker et on part en slick, en implorant le ciel que la pluie se calme.
H moins 3 minutes. L'averse s'est arrêtée.
30 secondes. Mat et R1 se font face, séparés par 13 mètres d'asphalte. Ils se regardent, s'attendent, s'impatientent, s'angoissent... et une décharge d'adrénaline générale précipitent les pilotes vers leurs montures. Les moteurs démarrent – Mat galère avec le coupe-circuit. Les premiers s'élancent – La moto n'a pas encore démarré. Vite, vite, vite ! Quelle merde ce coupe-circuit ! Les dernières places se vident quand le 4 cylindres s'ébroue enfin. Ca y est, ils sont partis !!!
La dernière position, sanction de notre lancement, n'est bientôt plus qu'un lointain souvenir. Mat fonce, grappille places et secondes, galvanise les troupes et voit rapidement le soleil l'accompagner. Il envoie du gros, se maintient sous les 1'40...
Pendant ce temps, je me prépare pour mon relais. N'ayant aucune idée de la stratégie de course à adopter, nous avons décidé de commencer par des relais de 25 minutes et d'improviser ensuite.
Mat rentre à 60 Km/h dans les stands, stoppe à notre box, descend en me jetant un regard signifiant "à toi de jouer !", et je m'installe prestement aux commandes. A moi d'assurer ! Une rapide impulsion pour sortir, un œil sur le compteur pour ne pas dépasser la vitesse limite dans les stands, un jet de regard en s'engageant sur la piste, les pneus et la machine sont chauds............ GAZZZZ !!!!!!!
Le couvert est mis. Quelques encablures sont nécessaires pour prendre ses repères et il est indispensable de les trouver le plus rapidement possible. Ca arrive fort derrière – pas le temps de faire des manières : c'est LA COURSE ! 5 secondes après l'entrée sur la piste, les connexions cerveau, mains, machine, regard sont en place.
T plus 10 secondes : je me fais déboîter par une ZX-9R.
T plus 11 secondes : il m'a énervé. Les yeux injectés de sang et la bave aux lèvres, je soude la poignée de l'accélérateur et lance les hostilités. Ca balance ! Une pichenette à droite, du slider qui frotte à gauche, et le 9R s'est transformée en une cible que je maintiens à 10 mètres devant en attendant la fin du tour et d'être parfaitement calé.
Montée commandant la ligne droite. 230 Km/h avant d'entrer dans le triple gauche. Je n'ai pas osé le doubler du fait d'un léger manque de confiance. Pourquoi ? Cette petite appréhension du débutant, sans doute. Pourtant, je suis pilote comme lui et c'est le jeu. J'ai tout le triple gauche pour réfléchir à mon attaque. Encore 15 secondes – je sais où je vais le bouffer. Je sors du pont derrière lui et me cale sur sa gauche. Je pousse la seconde à toc, le rattrape doucement, bloque un œil sur le virage et l'autre sur mon adversaire... Il freine ! J'attends et maintiens les gaz. Bingo ! Le Carrierrasse (virage en question) se précipite vers moi à 150 km/h. M.... ! Ca passera jamais !
"Aie confiance", me susurre la moto dans la main droite. J'empoigne les freins à en tordre le levier. Les bras s'écrasent, les dents se crispent, la vitesse chute. C'est une arrivée à moitié en catastrophe qui commande l'entrée du virage à 170°. J'y jette la moto, relâche progressivement les freins et remet du gaz en douceur puis insiste pour m'arracher de la courbe. Jackpot ! La ZX-9R est derrière, avec une relance plus faible et n'est plus un danger. Encore 22 minutes de régal ! Go Go Go...
Panneau STOP tendue par Cedr. Mon relais se termine et le Team est prêt pour l'opération la plus délicate de la course qui va également s'avérer la plus catastrophique. Entre moi et Mat va s'opérer le ravitaillement. Rien de bien compliqué sauf que nous sommes handicapés par un os de taille. La jonction entre l'Acerbis et notre réservoir ne peut se faire à cause du bouchon mal foutu. Comment faire ?
C'est l'horreur sous mes yeux. Equipé d'une clé BTR, Richi se grouille tant qu'il peut pour enlever les 3 vis de la trappe aviation.
30 secondes. Je fais gicler la trappe et m'écarte pour laisser intervenir le ravitailleur.
1 minute. Le plein est fait. Seb dégage et je remets la trappe. Les vis reviennent dans leurs logements ; Richi revient avec la BTR. Zut, pas moyen de visser correctement, les trous ne sont pas dans l'axe.
1 minute 30. Faut bouger la trappe. On s'applique, on place, ça revisse.
2 minute 10. Plus qu'une à serrer. Le réservoir est plein, le bouchon est en place et fermé, Mat saute sur la machine.
2 minute 30. Le pot Yoshimura hurle de nouveau, C'est reparti.
Quelle catastrophe ! On était bon, ça roulait bien, y avait du rythme... et nous venons de perdre un temps fou pour une connerie. Et nous n'avons pas d'autres solutions pour ce week-end.
Mat' n'y pense déjà plus. Concentré sur ses trajectoires, il file toujours plus vite, il remonte, il gagne des places, il nous émerveille... et Clac ! Le chrono vient de tilter : Mat signe son meilleur tour du week-end en 1'35 ‘'4. Génial.
"Ca me picote dans la main. Qu'est ce qui se passe ?". J'en suis à la moitié de mon deuxième relais, avec un rythme similaire au précédent, et les premiers problèmes se posent : mes doigts s'engourdissent de plus en plus. C'est pas le moment ! J'ai encore du chemin à faire. Je freine comme un sourd dans l'intérieur du Cavalet pour doubler une CBR 600 tandis que du plâtre s'installe doucement dans mon bras gauche. 1 tour plus tard, je n'ai plus de feeling sur les commandes droites. Ne sentant plus très bien les réactions de la machine à mes instructions, l'hésitation s'incruste dans certaines trajectoires. Je guenille. Les chronos s'inquiètent. C'est pas bon, c'est pas bon ! Faut vite décider un truc.
Suis-je bien en train de visser la poignée droite ? Le compteur le confirme, et c'est la jambe tendue que je passe à toc en face de Cedr. Il a compris et transmet l'info : "Greg rentre au stand, et ce n'est pas prévu – il se passe quelque chose".
Pas d'explication. Juste un "pas le choix" transmis à Mat et il part en trombe.
"Je sentais plus ma main, les gars. Je suis désolé, je n'ai pas assuré...". L'équipe rétorque : "C'est pas grave. On n'est pas le SERT non plus. Et on est là pour se faire plaisir".
Mat, de son coté, continue la course à bon rythme. Au dessus de lui, la pendule de Ledenon poursuit le temps. Arrivée à 19 h 15, elle intime au directeur de sortir le drapeau de damier pour stopper la première partie. La moto se gare pour quelques heures. La furie reprendra demain, à 8 h 30. Le moment de se reposer un peu est venu pour tout le monde.
Le gros avantage des amateurs comme nous, c'est cette capacité à rester serein, zen, sans prises de tête. A l'issue de cet après-midi de compétition, le MRT 14 pointe à la 8eme postion au classement. Satisfait, l'ensemble du team se détent avec des bières (sauf les pilotes) et des cahouètes. A nos cotés, c'est festival de réglages, de démontages, de débriefing, de plans de course, de coups de tournevis, de tests, de remontages... pendant que Motoplanete et son orchestre rêvassent à l'apéro et attendent patiemment le cassoulet en écoutant une radio infâme. On n'est pas les meilleurs, juste les plus heureux. La soirée délasse. La nuit passe
"Greg, c'est toi qui prendra le départ demain !"... La suite en cliquant ici ->
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