Fiche moto Harley-Davidson1450 DYNA LOW RIDER edition HOGGER 2001 Après ou avant la fin du monde ?
Certaines rencontres dans l’existence laissent des souvenirs inaccoutumés, impérissables. Ou parfois dans les limites du putrescible, comme ce rendez-vous insolite, un soir de brouillard poisseux.
Un contact m’avait informé de la venue sur le territoire du célèbre et mystérieux Hogger. Un être étrange, à la frontière de l’imaginaire et de la nuit. Rares sont ceux qui l’ont approché. Ceux qui l’ont vu ont découvert une nouvelle forme de peur ; ceux qui le connaissent aimeraient retrouver un jour des sensations telles que la peur. Mais peu importe les risques, car l’individu doit venir cette nuit avec sa bécane qu’il chérit plus que tout, dépassant son identité et son odeur.
Cette Harley…. Pardon, SA Harley, cela va faire bientôt un an que Hogger travaille dessus. Son but, créer la moto parfaite, son idéal, le fruit de ses tourments (y a toujours quelque chose qui ne le satisfait pas, dans sa vie comme dans son foie). Alors, quand l’occasion s’est présentée de faire connaissance avec son travail acharné, pas question de passer à coté. Surtout qu’à la vue de cette bécane, on a beaucoup de mal à croire que ce fut à l’origine une Dyna Low Rider.
Mais avant, il est important de situer le personnage. Car connaitre l’individu est indispensable pour comprendre sa moto. Esteban Hogger. Vous l’avez déjà rencontré dans certaines fiches de MP, surtout du coté de H-D et Saxon. Personne ne connait son âge, sa véritable identité, son sexe, ses origines. Mais une partie de son histoire est gravée symboliquement sur sa moto. Après beaucoup de recherches sur les gravures cunéiformes ornant le réservoir, nous avons découvert qu’Hogger fut un agent du Mossad infiltré dans les services secrets tibétains. Après une éprouvante mission jusqu’en Bolivie, Hogger décida de quitter son unité pour vivre en ermite. S’en suivit 10 ans de solitude. Amputé du testicule droit, de l’œil gauche, et débarrassé de son instinct de survie, l’homme tente un retour vers la sociabilité.
La première étape fut d’acquérir un Dyna FXDL Low Rider 1450 cc… qui ne resta pas bien longtemps d’origine. Après moultes transformations, la bécane est à présent un mix entre un Fat Boy et un Low Rider avec une nette tendance bobber orientée touring. De quoi donner un bon mal de crane !
L’ensemble a quelque peu perdu de son harmonie pour devenir une extension de l’âme du propriétaire. Il y a sur ses roues des soupirs de locomotive prête à charrier des milliers de wagons, fière d’avoir accompli un million de km et fatiguée de les refaire. Elle attend, sûre d’elle, peu impatiente, et pas franchement enthousiaste d’emmener un autre que son maitre.
J’approche, tandis que le 1450 me regarde d’un œil mauvais, que le ciel découvre timidement quelques aspérités, et que Hogger entreprend de rapiécer une de ses rangers avec du cuir de chacal séché. La vision me fait trembler d’effroi ; mais j’irai jusqu’au bout.
Une fois installé, le bestiau se dévoile par subtilité. Il semble murmurer des chansons de la légion étrangère, alors que son esprit divague vers le bourlinguage. Ca ‘sent’ le port d’Amsterdam, la chaleur du Kansas et les fonderies d’acier de la Ruhr. Un univers à elle seule cette moto, où l’atmosphère est aussi lourde que dans le clip ‘Mamma ‘ de Genesis.
Un coup de démarreur et le twin prend vie dans une toux de bœuf toxicomane. Le réveil est dur, la tête cabochée, l’adrénaline coincée dans les artères de l’injection. Les coups de bielles s’enchainent, tels les pas forcés d’un claustrophobe voulant sortir d’un tunnel avec une jambe cassée. Le pouls s’accélère, le rythme s’installe, il est temps de partir.
C’est peut-être l’empattement, ou bien les 300 kg, à moins que ce ne soit le guidon type Fat Boy… toujours est-il que la moto de Hogger se manie avec retenue. Un brin d’autoroute pour gagner les enfilades de l’avant pays permet de juger de la position de conduite. Pas vraiment idéal pour cruiser mais bien calé pour le style. Sans s’en rendre compte, la vitesse se pose naturellement sur 90-100 km/h. Au –delà, le combat contre le vent s’installe. Mais aux oubliettes la vitesse, place au moteur. Une paire de pots plus aérés permet à la mécanique de Milwaukee de s’exprimer plus vaillamment que le bicylindre castré à l’européenne. Le couple est là, puissant, gras comme du fromage fondu baignant dans l’huile, prêt à donner une bonne gifle à chaque descente de piston. Avec ce compte-tours autant calligraphié que celui d’un diesel, on vit à l’exact opposé d’une mécanique d’hypersport. Le bicylindre prend son temps pour monter dans les tours, et n’aime pas s’approcher de la zone rouge. A 1 000 tr/mn d’elle, il ne veut déjà plus la connaitre. Il n’accélère pas, il pousse ; en vibrant ses muscles au rythme de sa gorge. A chaque décélération, il pétarade avec sécheresse, crachant quelques restes de combustion avec des échos de métal ensanglantés. Un crocodile avec les tripes à l’air et de la bave en acier.
La boite de vitesses est une aventure à elle toute seule. Aussi souple et docile qu’un aiguillage rouillé, elle demande de la patience et de la conviction. D’abord bien choper la poignée d’embrayage qui semble pivoter dans du plomb mou. Ensuite, appuyer fermement sur le sélecteur (un double branche serait d’ailleurs souvent bien utile). Passer un rapport n’est pas une sinécure : on a l’impression que la tringlerie est un ensemble de clés à molettes. Un ‘schrankglll’ ponctue chaque rapport tout en arrachant un morceau du pied. C’est viril, interdit aux pieds fragiles, et complètement surréaliste si l’on a essayé quelques heures avant une 1200 VFR DCT avec passage de vitesse au guidon.
L’américaine a du caractère, aucun doute. Quant à apprivoiser sa mécanique, autant se faire tout de suite à l’idée que chaque kilomètre devra se vivre ou se subir. Le temps et la distance filant désormais avec une certaine placidité, chacun a bien compris qu’il devrait composer avec l’autre. Alors, on va virevolter un peu du coté des crêtes de Balbuzard. Sans surprise, ce custom n’offre ni bondissement arsouillesque, ni spontanéité volubile, mais une allégresse distillée au tempo du twin. Ne pas la brusquer, savoir composer, la travailler doucement pour l’emmener avec décontraction sur la trajectoire. Elle veut se promener, sans prendre le temps de ramasser des cailloux tout en s’accordant le loisir de le faire. Le métal et le poids dictent leur loi à travers une certaine rigidité de l’histoire américaine, devenu l’un des symboles de la légende Harley d’aujourd’hui.
Elle freine… quand elle veut, avec un feeling de catcheur ; Rien au début, puis de la puissance quand on tenaille le levier. Ce simple disque avant est à l’agonie. Mieux vaut utiliser l’arrière qui se révèle bien plus plaisant et efficace.
La journée s’éclipse, mes sensations lombaires aussi. La pauvre suspension arrière n’a pas vraiment les capacités pour travailler correctement. Nous rentrons retrouver son protecteur qui, sans surprise, n’a pas bougé de position depuis notre départ. Tel un bloc de granit incrusté sur le rocher, il ne manifeste aucune émotion, bien que son œil semble avertir d’un danger alors que je déploie la béquille latérale afin de conclure mon périple. C’est là que je reçois le dernier shoot d’adrénaline, quand cette tige de métal m’apparait aussi stable qu’un château de cartes sous le mistral. Qu’est-ce qui me fait le plus peur : recevoir trois quintaux d’acier sur le genou ou affronter Hogger fou de rage d’avoir vu sa compagne tomber ? Heureusement, ça tient. Ouf.
Rebelle, ingrate, caverneuse, vibrante, d’un autre temps, d’une autre philosophie, la Dyna 1450 Low Rider ‘Hogger’’ se vit du premier coup de démarreur jusqu’à l’arrêt des pistons. On ne peut pas rester insensible, on est OBLIGE de vivre la route et d’accepter son point de vue. Une moto avec un gout fort, des morceaux qui restent dans la bouche, des miettes de partout et des coups de poing sur la table. Quelque chose d’impossible à retrouver sur une japonaise. Après, tout est une question de point de vue, sur chaque détail qui peut paraitre soit comme un défaut, soit comme une émotion.
Hogger remet son cuir tout en m’adressant un sourire teinté d’amertume. Il prend place sur le strapontin, fait craquer le twin, et repart tel un buffle embouti. Je sais à cet instant que quelque chose de paranormal s’est passé, que l’éternelle question se posera encore longtemps : pourquoi ?
La vie de Hogger n'est qu'un périple sans fin, où la passion de sa bécane l'aura conduit à dévaster les routes de nombreux pays. Très éloigné des prédispositions d'une Pan-European ou d'une R 1200 GS, son Low Rider aura tout de même connu les frontières du Sahara comme les secrets de la Slovénie. Aujourd’hui encore, je me dis qu’Hogger s’est arrêté quelques part et qu’une population tremble de trouille. Mais ce chapitre d'angoisse, c'est pour le prochain épisode...
M.B – Photos inconnues
NDLR : Cet essai ne reflète pas le comportement d’un Dyna Low Rider d’origine, car ce modèle ‘Hogger’ a été largement transformé par son propriétaire. N’en faites donc pas une généralité.
2001